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femmes artistes - Page 2

  • Peintresses belges

    Quelle bonne surprise de retrouver à Namur, à l’entrée de Femmes artistes. Les peintresses en Belgique (1880-1914),  la grande toile (160 x 225 cm) de Dagmar De Furuhjelm, dont le titre exact est L’Atelier du peintre Blanc-Garin, découverte lors de la visite de l’Hôtel communal de Schaerbeek ! Elle fait aussi la couverture du catalogue qui complète heureusement la petite exposition du musée Rops qui contient quelques pépites, même si j’en espérais davantage.

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    Dagmar De Furuhjelm, L'Atelier du peintre Blanc-Garin, c.1890, huile sur toile, 160 x 225 cm.
    Commune de Schaerbeek, Bruxelles, inv. N264. © Atelier de l’imagier

    A côté de « femme artiste », « femme peintre », au lieu de « peintre » tout court, ce terme de « peintresse » était péjoratif. Des féministes revendiquent à présent ce suffixe explicite pour marquer le genre, on se souvient des peintresses présentées par Euterpe sur son blog, mis en veilleuse mais toujours en ligne. Dans l’introduction « Naître femme, devenir artiste », Véronique Carpiaux et Denis Laoureux parlent d’un usage « explicitement sarcastique » du nom « peintresse » à la fin du XIXe siècle.

    Quelles tactiques, quels choix de vie, quelles transgressions déploient alors ces femmes pour étudier et exercer leur art, exposer, se faire connaître, et sans se limiter pour autant aux genres dits féminins, c’est le sujet de cette exposition, approfondi dans le catalogue. Sur un beau buste en marbre par Juliette Blum (épouse du sculpteur Charles Samuel), Anna Boch esquisse un doux sourire : elle est sans doute la plus exemplaire des femmes artistes de cette époque, une vie consacrée à la peinture grâce à sa fortune personnelle et au célibat, en plus de son talent indéniable. Son cousin Octave Maus l’a introduite dans le milieu de l’art.

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    Juliette Samuel-Blum, Anna Boch, peintre, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

    Les couples et familles d’artistes sont nombreux dans cette exposition, c’était une voie favorable pour une femme qui voulait continuer à créer après le mariage, mais pour certaines, cela marquait le point d’arrêt ou presque, comme pour Marthe Massin, l’épouse de Verhaeren. Un chef-d’œuvre d’Hélène Du Ménil et Isidore De Rudder m’a fait découvrir ce couple : L’Automne, une broderie aux fils de soie (200 x 260 cm) prêtée par le Musée du Costume et de la Dentelle de la Ville de Bruxelles (ci-dessous). Sous l’œil d’un paon qui déploie ses couleurs, une jeune femme rousse, vêtue d’une robe aux motifs de feuillages, allaite son bébé, une fillette près d’elle. Une nature morte de raisin, de fruits et de gibier sur une table et d’autres emblèmes évoquent la saison des feuilles mortes – j’aimerais voir les trois autres. L’un peignant, l’autre brodant, c’est éblouissant de finesse et de nuances mordorées. 

    Un autoportrait d’Emma De Vigne (fille de sculpteur, épouse de peintre), un Portrait de femme par Marguerite Holeman sont de belle facture. Toutes les artistes portent ici leur nom de jeune fille ; ainsi Henriette Ronner, connue pour son art de peindre les chats, figure ici sous le nom de Henriette Knip. Sa fille, Alice Ronner, est également représentée à l’exposition, entre autres avec une grande nature morte originale, Harpe avec fleurs.

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    Hélène Du Ménil et Isidore De Rudder, L'Automne, 1905, broderie aux fils de soie, 200 x 260 cm.
    Musée du Costume et de la Dentelle de la Ville de Bruxelles

    Il ne manque pas de citations, affichées tout au long de l’exposition, pour rappeler le mépris dont on faisait preuve à l’égard de ces peintres même dans la revue L’Art Moderne (« Les femmes ne peuvent peindre que des choses qui n’exigent ni pensée profonde, ni grand sentiment, ni large virtuosité »). J’ai aimé plusieurs passages de la correspondance de Louise Héger avec son père : « Pour moi, qui n’ai ni frère, ni cousin, ni oncle, ni Père qui soit peintre […] il faut bien que je m’arrange comme je puis et que je m’arme de courage. » « Etre traitée d'égale à égale avec respect et affection par des peintres sérieux et de grand talent, me rehausse à mes propres yeux et me ravive. »

    Intérieur d’Anna Boch montre un grand bouquet champêtre dans son salon, au mur on reconnaît une de ses toiles, sur la table un livre, et partout la lumière qui pénètre par la fenêtre. Maurice Jean Lefèbvre a peint un charmant petit portrait d’elle peignant dans son jardin. Quelques signatures masculines sur le parcours, sous des photos ou portraits de ces peintres-peintresses. Celui de Berthe Art par Roger Parent, aux couleurs fauves, côtoie certains écrits d’une misogynie incroyable, prêtant aux artistes femmes tantôt une allure hommasse, tantôt des mœurs douteuses ! 

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    Anna Boch, Intérieur, 1891, Musées de Verviers

    A l’affiche, Dans l’eau ! de Virginie Breton, fille de Jules Breton, deux peintres français que j’avais remarqués au musée des Beaux-Arts de Lille : une très grande toile où elle a peint une jeune femme près de la mer, qui emmène deux enfants nus au bord de l’eau. Elle en tient un sur le bras et de l’autre, tire un petit garçon qui préférerait aussi être porté et vers qui son visage se tourne. C’est une œuvre vigoureuse, pleine de mouvement, dans la gamme des bruns et des gris chers aux peintres réalistes. (Je me suis interrogée sur ce choix pour annoncer une exposition sur des artistes belges : la mère de Virginie Breton était belge, son père ayant épousé Elodie De Vigne, fille du peintre gantois Felix De Vigne, d’où ses liens avec la Belgique. Un renseignement trouvé sur le site du Matrimoine, Wikipedia ne citant pas le nom de sa mère. De plus, Virginie Demont-Breton s’est engagée résolument pour la reconnaissance des femmes artistes.)

    Mane Becube, d’Yvonne Serruys, n’est pas daté non plus ; c’est souvent le cas pour les toiles de ces peintres trop méconnues. Ici, une femme plus âgée porte une fillette aux pieds nus sur le dos. Toutes deux portent un bonnet de dentelle blanche. A l’arrière-plan, une haie conduit le regard vers un groupe de maisons. Une œuvre néo-impressionniste très lumineuse. On verra plus loin un joli bronze de cette artiste, Echo.

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    Virginie Breton, Dans l’eau !, s.d., huile, 182,1 x 122,5 cm. Musée des Beaux-Arts, Anvers.
    KMSKA © www.lukasweb.be - Art in Flanders vzw, photo Hugo Maertens

    Intérieurs, jardins, portraits sont des sujets plus accessibles aux peintres qui, d’une part, aiment à représenter la vie quotidienne, et d’autre part, ne peuvent pas toujours se déplacer à la recherche de nouveaux paysages. Cécile Douard innove en se tournant vers les ouvrières des charbonnages, comme cette Hiercheuse au repos ; Louise De Hem, en peignant Indigence.

    A l’étage, près d’un portrait de Verhaeren écrivant par Marthe Massin, son épouse, on a placé un buste du poète, en métal coulé, de Jenny Lorrain. Revoici Euphrosine Beernaert (autre prêt schaerbeekois) et d’autres beaux paysages : Vue des dunes (Louise Héger), Rosée (Marie Collart), Marais en Hollande – Matin (Anna Boch), plus impressionniste, un des prêts du musée d’Ixelles. 

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    Louise De Hem,
    Le Chat noir, c. 1902, pastel sur papier collé sur toile, 60 x 74,5 cm.
    Stedelijk museum Ieper, Ypres

    Je pensais ne pas connaître Anna Cogen dont on montre de belles toiles comme Mon vieux jardinier et Le bel automne : elle n’est autre qu’Anna De Weert, dont les toiles sont bien cotées en salle de ventes. Avec Jenny Montigny (La récréation à l’école de Deurle, Le goûter), elle a été l’élève d’Emile Claus et membre du cercle Vie et Lumière, de ces peintres belges appelés luministes. Un coup de cœur encore : Le Chat noir, un pastel de Louise De Hem, félinophilie aidant.

    Il faut ensuite monter aux salles permanentes du musée Rops pour découvrir d’autres domaines où les femmes artistes ont réalisé de belles choses au tournant du XXe siècle : la gravure, l’illustration, la reliure (notamment de Juliette Trullemans, soit Juliette Wytsman – une peinture de Richir la montre servant le thé à son mari Rodolphe Wytsman – j’aurais préféré les voir à l’atelier.)

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    Elisabeth Wesmael, Paysage, s. d., eau-forte, Bibliothèque royale de Belgique
    (détail, désolée pour les reflets)

    De belles eaux-fortes d’Elisabeth Wesmael, de Louise et Marie Danse précèdent une série d’œuvres de Claire Duluc (techniques diverses, un beau coup de crayon) qui a publié sous divers pseudonymes masculins pour éviter les préjugés sexistes. C’est là qu’on peut admirer le fameux portrait pointilliste de Claude Demolder-Duluc par Van Rysselberghe : l’épouse d’Eugène Demolder était la fille illégitime de Rops et d’Aurélie Duluc (représentée avec sa sœur Léontine au bord de la mer dans une toile connue de Rops, avec qui elles faisaient ménage à trois).

    Voilà tout de même, malgré mon goût de trop peu, de bonnes raisons d’aller saluer ces « peintresses » belges, non ? Vous y verrez d’autres noms encore – j’aurais dû citer celui de Ketty Gilsoul-Hoppe dont on voit de belles œuvres – comme ceux de « dames artistes », appellation réservée aux dames de la noblesse belge pour qui la peinture était un loisir, parfois avec grand talent. 

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    Berthe Art, Chrysanthèmes blancs, s.d., huile sur toile, 102,5 x 65 cm. Stedelijke Musea Kortrijk, Courtrai

    Femmes artistes. Les peintresses en Belgique (1880-1914) : le musée Rops à Namur propose cette exposition jusqu’au 8 janvier 2017. Si vous vous intéressez à la place des femmes dans l’histoire de l’art, si vous aimez vous promener dans le vieux Namur, si vous admirez l’art de Félicien Rops, si vous allez à Antica-Namur, quel que soit le prétexte, je vous conseille le détour par la rue Fumal.

    P.-S. Prolongation 29/01/2017

  • Couleur

    « Avant que nous puissions nommer la couleur que nous voyons, elle est en nous. »

    Chapelle St Vincent 2.JPG

    « Devinette : qu’est-ce qui est si fragile que même dire son nom peut le briser ?

    Le silence… »

    Chapelle St Vincent 3.JPG

    Siri Hustvedt, Un monde flamboyant

    Photos : Chapelle St Vincent au cimetière de Grignan,
    mise en lumière d'Ann Veronica Janssens, 2013

  • Artiste mais femme

    Jeu savant et passionnant, Le Monde flamboyant de Siri Hustvedt (2014, traduit de l’américain par Christine Le Bœuf) pourrait passer pour un essai, à lire l’avant-propos signé I. V. Hess sur Harriet Burden, une artiste new-yorkaise retirée du monde de l’art après avoir exposé dans les années 1970-1980. En 2003, une lettre de Richard Brickman à une revue d’art révélait qu’Harry était l’auteur véritable de « Masquages », une formidable expérience artistique sur la façon dont l’œuvre d’art est perçue et valorisée.

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    Trois hommes, de 1999 à 2003, ont accepté successivement d’exposer ses œuvres sous leur nom et de jouer le créateur pour le public et les médias : Anton Fish, Phinéas Q. Eldridge et Rune, avec un succès retentissant. Ainsi Harriet Burden a magistralement démontré le « préjugé antiféministe du monde de l’art » et les « rouages complexes de la perception humaine ». Nourrie de lectures philosophiques et théoriques, méconnue de ses contemporains, elle voyait en Margaret Cavendish, duchesse de Newcastle, intellectuelle excentrique du XVIIe siècle, son alter ego – d’où le titre du roman, que Siri Hustvedt lui a emprunté.

    Ce début sérieux pourrait rebuter, et la structure fragmentée de cette fiction, mais au fur et à mesure que le puzzle de Siri Hustvedt donne chair à la vie de femme et au destin d’artiste de Harry Burden, c’est un roman captivant, bouleversant même. On fait connaissance avec elle juste après la mort de son mari, un riche marchand d’art, qu’elle a rencontré dans sa galerie à vingt-six ans (lui en avait quarante-huit) et qui s’écroule brutalement un matin, à la table du petit déjeuner.

    Leurs enfants, Maisie et Ethan Lord, donnent leur point de vue de temps à autre dans le récit qui contient des lettres, des articles, des témoignages, et beaucoup de passages des carnets répertoriés alphabétiquement où Harry notait ses observations et réflexions. Dans la dépression du deuil, elle reprend goût à la vie grâce à une phrase du Dr Fertig qu’elle voit régulièrement : « Il est encore temps de changer les choses, Harriet. » A sa fille, après son déménagement à Brooklyn, elle dira : « Maisie, je me sens des ailes. »

    Ce qui est étonnant, c’est que personne n’ait soupçonné le jeu des pseudonymes. Même une critique qui avait apprécié ses débuts d’artiste n’a rien deviné et, quand on lui demande après coup si elle l’aurait exposée, « croit » qu’elle l’aurait fait, bien que son travail lui semblait « trop intense ». Grande, puissante, érudite, Harry faisait peur en tant qu’artiste, tout le monde la jugeait parfaite dans le rôle d’épouse du riche Felix Lord.

    Sa fille, en lisant ses notes après sa mort, se reprochera de n’avoir pas senti à quel point sa mère était malade de se savoir « affreusement incomprise » dans son métier. Les « poupées » que fabriquait Harry inquiétaient Maisie comme des signes de dépression, alors que sa mère donnait vie ainsi à son imaginaire : « Non existants, impossibles, les objets imaginaires habitent tout le temps nos pensées mais, en art, ils passent du dedans au dehors, mots et images franchissent la frontière. » (Carnet C)

    Après la tristesse de la séparation avec Felix, Burden sent que sa liberté est arrivée, que personne ne la bloque plus sauf elle-même. Et pour déjouer les préjugés à l’égard des femmes artistes, dont elle donne de nombreux exemples dans l’histoire de l’art, elle se donne pour défi de changer la manière dont on perçoit ses « métamorphes ». Anton Tish, son premier masque, rencontré dans un bar grâce à un des « assistants-réfugiés » qu’elle accueille dans sa grande maison, fera « un malheur avec son installation ».

    Son amie depuis douze ans, Rachel Briefman, a toujours vu en Harry une passionnée, « une omnivore animée d’une immense avidité de toutes les connaissances qu’il lui était possible d’ingérer. » Enfant, Harry admirait son père, « le philosophe-roi » dont le bureau lui était interdit. Vers seize ans, le développement de son corps « magnifique, fort, voluptueux » l’avait terriblement embarrassée. Dans Frankenstein de Mary Shelley, le monstre était son personnage préféré.

    « Pourquoi les gens voient-ils ce qu’ils voient ? Il faut qu’il y ait des conventions. Il faut qu’il y ait des attentes. Sans cela, nous ne voyons rien ; tout serait chaos. Types, modes, catégories, concepts. » (Carnet A) La « grande Vénus » de Harry offre à Anton Fish, vingt-quatre ans, la reconnaissance en tant qu’artiste que n’aurait pas obtenue la mère de deux enfants adultes. Ensuite, avec Phineas Q. Eldridge qui se produit sur scène en tant que mi-homme mi-femme, mi-noir mi-blanc, la complicité est immédiate. Il l’aidera à fabriquer et exposer les « Chambres de suffocation ».

    Bruno Kleinfeld, un voisin subjugué par l’allure, les manteaux et les chapeaux de Harriet Burden, finit par oser l’inviter à dîner et devient son complice intime et attentionné. Bien qu’il la pousse à signer son travail, elle reste cachée et veut choisir le bon moment pour la révélation. Son troisième avatar masculin, Rune, déjà célèbre par ses vidéos égotistes avant leur collaboration pour « Au-dessous », va bouleverser les plans de Harry de manière inattendue.

    Un monde flamboyant multiplie les points de vue sur l’artiste, sur l’art, sur la réception des œuvres, entraînant le lecteur dans une exploration vertigineuse de la création et de la manière dont les autres la perçoivent. L’abondance des références littéraires et artistiques en fait une mine de sujets à méditer. Ceux qui connaissent un peu Siri Hustvedt, « intellectuelle vagabonde », fameuse épouse du non moins célèbre Paul Auster, s’amuseront de la voir mentionner brièvement son nom au passage comme celui d’« une obscure romancière et essayiste ».

    Coïncidence (une expérience que les lecteurs connaissent bien) : La femme qui pleure de Picasso rencontrée dans La compagnie des artistes, la Dora Maar du « petit Picasso ardent et énergique » qui aimait faire pleurer les femmes, y fait une apparition. « Tous, nous voulons nous croire résistants aux paroles et aux actions d’autrui », c’est une illusion.